L’intoxication aux anticoagulants (raticides, rodenticides antivitamines K) est la première cause d’intoxication chez le chien (3ème chez le chat) selon les centres nationaux d’informations toxicologiques (CNITV et CAPAE Ouest). L’ingestion de ces toxiques provoque des phénomènes hémorragiques, c’est-à-dire des pertes sanguines internes ou externes pouvant aboutir au décès de l’animal. La détection précoce de ce type d’intoxication est indispensable ; elle nécessite une démarche diagnostique rigoureuse afin de mettre en place, au plus vite, un traitement spécifique adapté.
Mécanismes de l’hémostase
Il existe, au sein de l’organisme, un phénomène physiologique permettant le contrôle des hémorragies et l’arrêt des saignements : il s’agit de l’hémostase.
Cette hémostase se scinde en deux principales étapes successives, s’enchaînant de façon très rapide :
- l’hémostase primaire : à la suite d’une brèche vasculaire, une vasoconstriction (diminution du diamètre du vaisseau) se produit ainsi que la formation d’un « caillot » instable constitué essentiellement de plaquettes sanguines (ou thrombocytes) agrégées : ce caillot est appelé « clou plaquettaire ». Une protéine sanguine importante, le facteur de von Willebrand intervient pendant cette étape;
- l’hémostase secondaire (ou coagulation) : pendant cette étape, de nombreuses réactions s’enchaînent en cascade entre plusieurs protéines plasmatiques (13), appelées facteurs de coagulation. Ces réactions aboutissent à la formation d’une protéine insoluble, la fibrine, qui va stabiliser et consolider le clou plaquettaire : un caillot est ainsi formé. L’hémorragie est stoppée.
Le foie intervient dans la fabrication de nombreux facteurs de coagulation : parmi eux, les facteurs II, VII, IX et X ont besoin de vitamine K1 pour être fabriqués et activés afin de devenir fonctionnels.
En l’absence de vitamine K1, les facteurs II, VII, IX et X ne peuvent être correctement synthétisés et activés ; un caillot solide ne peut alors pas se constituer, la brèche vasculaire ne peut pas être comblée et l’hémorragie perdure.
Mode d’action des rodenticides
Les rodenticides antivitamines K (AVK) inhibent une enzyme de l’organisme appelée époxyde réductase. Cette dernière est essentielle car elle permet d’obtenir la Vitamine K1 sous forme réduite, forme qui active les facteurs II, VII, IX et X pour qu’ils soient fonctionnels. Ainsi, sans époxyde réductase, les facteurs de coagulation actifs ne sont pas disponibles et l’hémostase secondaire ne peut se réaliser correctement.
Il est important de noter qu’il existe initialement, dans le foie, un stock de vitamine K1 réduite donc fonctionnelle : ces réserves vont être progressivement consommées avant de disparaître totalement. Ce stock de vitamine K1 réduite explique le délai qui peut exister entre l’ingestion de rodenticides AVK et le début des symptômes.
Symptômes
Les symptômes se déclenchent seulement 48h après ingestion des rodenticides (après consommation du stock de vitamine K1) : c’est ce qui est insidieux avec ce type d’intoxication.
Les saignements qui apparaissent peuvent être faciles à mettre en évidence : hématome, saignement nasal (épistaxis), buccal ou oculaire (hyphéma), sang dans les urines (hématurie) ou dans les selles (méléna), pertes vulvaires hémorragiques mimant des chaleurs chez la femelle (métrorragie).
Mais l’hémorragie est parfois interne et peut être plus difficile à identifier : toux ou difficultés respiratoires (si saignement pulmonaire), boiterie (hémarthrose), dilatation abdominale (épanchement de sang) ou, plus rarement, troubles neurologiques (lors d’hémorragies cérébrales par exemple).
Dans tous les cas, certains symptômes discrets sont à rechercher : muqueuses pâles (gencives, conjonctive oculaire), pétéchies (petits points hémorragiques sur les muqueuses ou la peau), toute tuméfaction cutanée ou sous-cutanée.
Diagnostic
Le diagnostic nécessite de mettre en évidence un trouble de la coagulation (hémostase secondaire) : pour cela, le vétérinaire effectue une prise de sang pour réaliser les temps de coagulation (appelés Temps de Quick et Temps de Céphaline Activée). Lors d’intoxication par les rodenticides AVK, les temps de coagulation sont augmentés (sauf si l’ingestion s’est faite dans les 48 dernières heures).
Le vétérinaire peut réaliser d’autres examens complémentaires (échographie, radiographie et analyses sanguines supplémentaires) pour évaluer les complications éventuelles induites par les hémorragies.
Il est éventuellement envisageable d’identifier la molécule ingérée grâce à une analyse toxicologique par un laboratoire spécialisé : cela peut aider concernant la durée du traitement (voir infra) car les rodenticides AVK ont des durées d’action différentes, plus ou moins longues.
Traitement de l’intoxication aux anticoagulants chez le chien
Le traitement de l’intoxication aux anticoagulants nécessite d’utiliser un antidote qui est la vitamine K1 à la dose de 5mg/kg/j, par voie intraveineuse initialement puis par voie orale.
Selon la molécule d’antivitamine K incriminée, la durée du traitement peut être d’1 semaine (molécules de 1ère génération), 1 mois (2ème génération) voire plusieurs mois (3ème génération).
En général, un traitement de 3 semaines est recommandé : un dosage des temps de coagulation 48h après la fin du traitement est réalisé. Si ces derniers sont encore élevés, 3 semaines de traitement supplémentaires sont prescrites.
Dans certains cas, une prise en charge plus intensive peut être nécessaire : perfusion, transfusion de sang frais, oxygénation, …
Dans les cas où l’ingestion du produit toxique a pu être observée, il est important de se rendre le plus rapidement possible chez le vétérinaire : en effet, dans un délai de 4 à 6 h après ingestion , il est possible de faire vomir l’animal et de lui administrer un pansement digestif permettant de diminuer les risques d’assimilation du toxique. Cela peut permettre d’éviter un traitement de plusieurs semaines. Un bilan sanguin sera alors réalisé après 48h pour évaluer les temps de coagulation et vérifier que l’intoxication a bien été évitée.
Pronostic
Le pronostic est en général excellent lorsque la prise en charge est rapide. Il est plus réservé lors de complications ou de diagnostic tardif.
Conclusion
Lors de l’utilisation de raticides anticoagulants au sein de votre foyer, il est important de prendre en considération le risque que vous prenez: en effet, nos animaux de compagnie, de par leur instincts de recherche, leur odorat, … parviennent régulièrement à accéder à ces toxiques. Pour éviter cela, pensez à utiliser des systèmes de boites d’appâts permettant d’assurer la sécurité de nos compagnons; utilisez éventuellement des systèmes de piégeage.
Il faut enfin garder à l’esprit l’aspect insidieux de ce type d’intoxication: en effet l’apparition des symptômes est différée de plusieurs jours par rapport à l’ingestion du toxique.